
La bavure…
1989. Une bande de garçons d'Harlem accourt vers Central Park un soir de printemps. Ça chahute, ça se bouscule. Ça vire même un peu à la bagarre et certains promeneurs du soir, présents au mauvais endroit au mauvais moment, en font les frais. La police intervient et boucle tout le monde sur le champ. En garde à vue, se retrouvent des mineurs non accompagnés par leurs parents ou un avocat. Le même soir, une femme sauvagement agressée, violée et laissée pour morte est retrouvée dans le parc. Ni une ni deux, la procureure Linda Fairstein jouée par Felicity Huffman– détestable à souhait – fait la connexion entre les deux affaires et décide sans la moindre preuve que les gamins arrêtés dans le parc sont les coupables du viol. S’ensuit une longue nuit où les mômes, privés de leurs droits élémentaires, subissent un interrogatoire musclé au cours duquel les inspecteurs les contraignent à faire de faux aveux. La suite n’est qu’un long cauchemar suivi d’une descente aux enfers pour les cinq jeunes, victimes d’un racisme systémique et aveugle. L’un d’eux est même jugé et condamné comme un adulte puisqu’il a 16 ans.
Coup de poing
Ava DuVerney, connue à Hollywood depuis son film Selma sur la marche organisée par Martin Luther King, a co-écrit et réalisé les quatre épisodes. Elle s’est toujours engagée pour le mouvement Black Lives Matter contre les violences policières. Avec cette adaptation d’une histoire vraie, elle participe à cette lutte incessante contre les inégalités. Sa caméra filme au plus près les visages de ces enfants qui ne comprennent rien à ce qu’il leur arrive. La terreur est palpable. Penché sur eux, l’objectif ne leur laisse aucun espace et pas plus d’espoir. A contrario, les policiers et la procureure sont filmés en contre-plongée, signe de leur toute-puissance. Autour des acteurs qui incarnent les cinq ados puis adultes, on voit défiler un cortège de stars : Felicity Huffman, Vera Farmiga, Joshua Jackson, Famke Janssen, Michael K. Williams… De tout côté, l’interprétation est épidermique. La sensation d’accablement est amplifiée par la structure de la série qui se scinde en deux parties : la première sur le rouleau compresseur de la justice et la seconde sur l’après, quand les jeunes sont devenus des gaillards qui sortent de prison, vivant avec le stigmate de l’infamie, interdits de retrouver une vie normale et ce jusqu’à leur réhabilitation. Ce choix narratif peut paraître déstabilisant. La réalisatrice décide délibérément d’éluder les années de prison de quatre d’entre eux et consacre la majeure partie du quatrième épisode à Korey Wise – incroyable Jharrel Jerome – qui, lui, a enchaîné les infortunes plus que les autres. Jugé comme un adulte, il est d’abord enfermé à Rikers Island. Alors qu’il demande à être transféré dans une prison plus proche du domicile de sa mère, il ne cesse d’être incarcéré toujours plus loin, condamné à l’isolement sous peine d’être le souffre-douleur des matons sadiques et des autres détenus. Jusqu’à ce que le vrai coupable se désigne enfin au début des années 2000... Et les cinq victimes obtiennent réparation en 2014.
Une injustice américaine
Pourquoi Ava DuVernay a-t-elle choisi de raconter cette histoire ? Même si elle est vieille de 30 ans, elle reste toujours d’actualité. Elle le restera tant que le racisme systémique gangrènera les États-Unis. Parce qu’à cette époque, un certain Donald Trump– déjà célèbre et milliardaire – avait payé quelques milliers de dollars pour publier une tribune dans les plus grands journaux new-yorkais. Une tribune qui réclamait la peine de mort pour ces garçons. On voit d’ailleurs un bout d’interview dans le premier épisode où il déclare : "Vous feriez bien de croire que je déteste ceux qui ont fait cela" en arguant pour leur exécution. Pourquoi cette série ? Parce qu’aujourd’hui encore, on se laisse leurrer par le jeu des apparences.
Une série créée par Ava DuVernay avec Asante Blackk, Caleel Harris, Ethan Herisse… Disponible depuis le 31 mai sur Netflix