
Je l’avais rencontré une première fois pour la sortie du livre Nicolas Pages, qui lui a valu le Prix de Flore en 1999. Il m’avait reçu aux Editions Balland, où il avait fondé la première collection LGBTQ+. Il avait été tout à fait cool, coopératif, contredisant sa sulfureuse réputation. Quelques semaines plus tard, je l’avais croisé de nouveau à l’inauguration d’un bar-sauna gay. Il était quasi nu, la taille entourée d’une mini serviette en éponge blanche, au milieu d’invités tout habillés. Et il était de très mauvais poil. Alors que je faisais allusion à un passage de son livre où il parlait de sa grand-mère, il s’est soudain emporté : "Ne te moque pas de ma grand-mère !" et comme je posais ma main sur son épaule pour l’apaiser, il a lâché d’un ton froid "Ne me touche pas !" me laissant sans voix. Quelques semaines plus tard, je le croisais de nouveau dans une galerie de peinture où il s’est montré tout à fait chaleureux. C’était comme si, entre temps, il ne s’était rien passé.
Il était comme ça, Guillaume Dustan, imprévisible, soufflant alternativement le chaud et le froid. On pouvait être du jour au lendemain son meilleur ami ou son meilleur ennemi. Et des ennemis, il en avait : à vrai dire, la moitié de la communauté gay qui lui reprochait de soutenir le "barebacking", terme désignant des relations sexuelles volontairement non protégées. Certains l’ont même traité d’assassin. Car Guillaume baisait sans capote. Et l'assumait. D’autres avaient compris que Guillaume Dustan renvoyait chacun à ses propres responsabilités : "Moi, je pense qu’on est responsable pour soi, pas pour les autres. Parce qu’à partir du moment où on est responsable pour les autres, on ne s’occupe plus de soi, et il ne se passe plus rien." avait-il dit sur le plateau d’une émission de Thierry Ardisson qui prenait un malin plaisir à l’inviter. A la télé, ou à la radio, Guillaume arrivait coiffé d’une perruque verte ou argentée, avec un boa rose autour du cou, Conchita Wurst avant l’heure, signifiant ainsi que l’homme et la femme pouvaient cohabiter pacifiquement dans le même corps.
Il fut l’un des premiers en France à dire publiquement qu’il était homo, drogué et séropositif. Il faisait un peu peur. Il était très vivant. Dans la pièce "Dans ma chambre", joué actuellement au Théâtre du Petit Saint Martinà Paris il est question de ça : de drogue, de sexe, de pratiques BDSM, du sida. Sujets "clivants" ? Non, parce que cette pièce, jouée et mise en scène par Hugues Jourdain, parle avant tout d’amour. Et puis, même si l’on n’a pas les mêmes pratiques que le personnage de Guillaume, que l’on soit garçon ou fille, hétéro ou homo, peu importe, on peut se sentir proche de lui, se retrouver dans son ironie, dans sa capacité à retomber sur ses pattes après s’être fourvoyé, dans sa façon clinique d’analyser les choses violentes, dans sa préférence pour les rigolos dingos plutôt que pour les raisonnables chiants, dans sa volonté de vivre à fond, de jouir, d’expérimenter tout…
Hugues Jourdain dans la pièce "Dans ma chambre" au Théâtre du Petit Saint-Martin
Sur scène, Hugues Jourdain donne de sa personne, c’est le moins qu’on puisse dire : nu sous une douche, dansant dans les fumigènes d’un club londonien au son d’une musique électro, ou alors mimant une pénétration difficile, le tout avec une certaine élégance, disant des mots crus avec un air presque naïf, comme s’il les découvrait au moment où il les prononçait. Un seul en scène d’une heure et demie durant lequel on ne s’ennuie pas un seul instant. Et qui se clôt par une envolée foudroyante au micro.
En découvrant l’œuvre de Dustan, on pourrait s’imaginer que cet auteur a passé toute sa vie à ne faire qu’une seule chose : baiser. Et pourtant Guillaume Dustan, qui avait fait Sciences-po et l’ENA, avait un métier : il était haut fonctionnaire de l’état. Son vrai nom était William Baranès. Il a été magistrat, juge administratif à Tahiti, Douaix et Versailles. Il travaillait énormément.
A la sortie de la pièce "Dans ma chambre", j’ai fait connaissance d’une petite dame sur le trottoir. Elle m’a dit qu’elle avait beaucoup aimé le spectacle et qu’elle avait été la première lectrice du livre "Dans ma chambre" sorti en 1994. Je me suis étonné : Pourquoi elle ? "Je suis sa maman" a-t-elle répondu simplement. Et comme je me montrais curieux de sa réaction à la lecture du livre à l'époque, elle a ajouté d'un ton affectueux, avec un demi sourire : "C’était hard."
Dans ma chambre de et avec Hugues Jourdain, au Théâtre du Petit Saint-Martin, tous les samedi à 19 H et le dimanche à 18 heures. Spectacle interdit au moins de seize ans.