
D’abord, quand on s’installe dans la salle, on se demande si un technicien n’a pas oublié de fermer la porte qui donne sur les coulisses : on voit au loin des gens s’agiter autour de porte-manteaux. Puis sur scène, un écran s’allume et l’on découvre plus précisément ce qui se passe derrière. Des comédiens répètent une scène d’engueulade… ou s’engueulent vraiment, on ne sait pas trop (parfois les dialogues sonnent un peu faux). Une pièce dans la pièce, se dit-on, mais alors, où finissent les répétitions et où commence le spectacle? Un ingénieux dispositif scénique ajoute au trouble du spectateur qui se voit lui-même à l’écran tandis qu’une caméra tenue à bout de bras vient le filmer sous le nez…
Isabelle, aussi, est à l’écran, filmée en gros plan, comme on a l’habitude de la voir au cinéma. Puis elle est là, presque au bout de nos doigts. Non pas sur le piédestal que constitue une scène de théâtre, mais sur le sol même du théâtre (une particularité des Bouffes du Nord), au niveau des premiers rangs. Une telle proximité contribue à ce que l’on se sente partie prenante d’une performance que l’on devine différente chaque soir, avec ses imprévus (qui sait si un spectateur ne va pas se lever un soir pour converser avec les acteurs ?).
Dans cet Opening Night, tiré d’un scénario de John Cassavetes, Isabelle est une actrice, Myrtle Gordon, qui perd pied lorsqu’elle apprend qu’une de ses fans, venue lui déclarer son admiration la veille à sa sortie d’un théâtre, s’est fait renverser par une voiture quelques minutes plus tard. Remonter sur scène, travailler avec son metteur en scène ou son partenaire, devient alors pour Myrtle une souffrance et marque le début d’une longue remise en question. Elle pleure beaucoup, Isabelle, dans cette pièce où chaque scène semble renvoyer à un moment de sa carrière ou de sa vie. On s’interroge: cette scène des baffes ferait-elle allusion au film La gifle de Claude Pinoteau ou à ses déboires avec l’acteur Niels Arestrupà l’époque de la pièce Mademoiselle Julie en 1987 ? Son éventuel abandon de la pièce, envisagé par le metteur en scène (excellent Morgan Lloyd Sicard) ferait-il référence à son départ du film de Godard Prénom Carmen ? La scène où Isabelle se traîne le long d’un mur ranime dans notre esprit les passages hallucinés du film Possession. On pense aussi au Locataire de Roman Polanski, à bien d'autres films encore. Et les répliques de l’actrice répondent comme par magie à nos pensées parasites: "Et pourquoi faut-il que tout le monde s’intéresse à mon âge ?" dit-elle au moment même où l’on s’étonne qu’elle paraisse si jeune sur scène. Une étonnante et amusante scène finale tout en grimaces semble venir faire un pied de nez au mythe et nous ramener à la réalité : tout cela n’est que jeu. Encore que… après le spectacle, tandis que l’on prend verre dans le bar attenant au Bouffes du Nord, Isabelle Adjani arrive avec son amie Yamina Benguigui et se fait aborder par de jeunes fans venus lui déclarer leur flamme ou un autographe. Et voilà que tout à coup, sous nos yeux, cet Opening Night se prolonge dans la nuit….
Opening Night de Cyril Teste, jusqu’au 26 mai aux Bouffes du Nord
Puis du 3 au 6 juin au théâtre du Gymnase à Marseille et du 12 au 15 juin au Printemps de Comédiens à Montellier