Amoureux, vous partagez votre vie, vos soucis et le même verre à brosses à dents. Mais qu’en est-il de vos convictions politiques ? À première vue, les Français considèrent le sujet comme une bagatelle qui n’entache rien à leur passion. D’après une enquête Cevipof parue en 2011, 70% d’entre eux estiment qu’il n’est pas ou peu important de partager les mêmes idées en couple. Encore mieux : d’après un sondage Opinion Way pour Meetic paru en mars 2012, 35% des répondants affirmaient ne pas savoir pour qui va voter leur conjoint.
Qui se ressemble s’assemble
Ce monde où droite et gauche reposeraient chaque soir paisiblement dans le même lit, au nom de l’amour et du respect des opinions de l’autre, existe-t-il vraiment ? Pas vraiment, selon Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et auteure de plusieurs ouvrages sur la démocratie*.“On veut croire au mythe républicain où chaque électeur agit seul avec sa conscience dans l’isoloir. Or l’orientation du vote se fait en famille, et notamment en couple. Et la norme reste de voter pareil”, souligne la sociologue.
Vous avez de bonnes chances de voter comme votre moitié car votre milieu social, scolaire, ou professionnel place le plus souvent sur votre route quelqu’un qui partage vos valeurs. C’est le vieux refrain de l’endogamie : “Qui se ressemble s’assemble”. Issue d’un milieu plutôt gaucho, Anna**, 27 ans, juge “inconcevable” de sortir avec un filloniste. “Cela voudrait dire que l’on ne partage pas la même vision du monde. Impossible de faire notre vie ensemble, donc.” Environ trois quarts des couples seraient ainsi en “convergence idéologique”, soutient Anne Muxel, auteure de Toi, moi et la politique***, au site Le Monde.
“Il s’est senti trahi quand je suis allée voter à la primaire de la gauche”
Partager la même routine crée des convictions communes. Particulièrement le soir entre 20h30 et 23h. “Ce sont la télévision et la radio qui déclenchent les discussions, explique Céline Braconnier. Ces débats s’écoutent dans l’espace de vie commune.” Votre moitié a ainsi de bonne chance d’être votre premier interlocuteur sur ces sujets. Et donc votre première source d’influence.C’est ainsi lovée dans leur canapé avec son mari qu’Isabelle, suit les débats politiques. Depuis de longues années, ils votent systématiquement pour le même candidat. “On a les mêmes préoccupations. Nous votons donc pour celui qui nous permettrait de maintenir notre façon de vivre”. Si bien que le jour où elle est allée voter avec leur fille à la primaire de la gauche, son tendre et cher s’est carrément senti “trahi”.
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Les femmes votent encore souvent comme leur mari
C’est triste, mais c’est un fait : les femmes (qui n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1944) votent encore très souvent comme leur mari, qui se doit d’avoir un avis. “Dans le couple, celui qui est le plus politisé a la capacité d’entraînement plus forte. Or, ce sont encore très souvent les hommes, car ils sont plus soumis à l’injonction d’assumer un rôle politique, explique la sociologue. Il est moins acceptable d’entendre ‘cela ne m’intéresse pas’ de leur bouche que de celle d’une femme.” Ophélie, 28 ans, avoue elle-même que son homme est le plus influent des deux. “Lors du débat de la primaire de la gauche, je lui demandais des explications quand je ne comprenais pas. S’il y avait des propositions que je n’aimais pas, il réussissait à me convaincre du contraire.“
Seuls les couples où la femme est plus diplômée que l’homme échappent à cette “conception masculino-centrée de la politique”, d’après Céline Braconnier. Dans le couple que forme Isabelle, bac +10, avec son mari bien moins diplômé, le jeu d’influence s’est même renversé. “Avant notre rencontre, il était plutôt de gauche, dans l’esprit mai 68. Le fait de vivre ensemble avec un mode de vie plus bourgeois a dû l’influencer. Depuis que je le connais, il s’est mis à voter comme moi.”
L’indécision, une nouvelle opinion
Reste tout de même 14% de couples où l’un est à gauche et l’autre à droite, selon les recherches d’Anne Muxel**. Marion et Antoine, tous deux 28 ans, devraient entrer dans cette case, malgré eux. Et pourtant :“nous n’avons pas les mêmes opinions : lui est centré sur le travail, moi je suis plus humaniste. Mais pour lui comme pour moi, rien n’est clair. On ne se reconnaît pas dans un candidat ni un parti en particulier. Une discussion reviendrait à brasser de l’air.”À tous les coups, il votera à gauche et elle à droite. Ou l’inverse. À croire que dans une démocratie de plus en plus disparate, une nouvelle catégorie de couples votants se dessine : ceux qui partagent non pas des convictions mais de l’indécision.
* La démocratie de l’abstention avec Jean-Yves Dormagen (Éd. Gallimard) et Les inaudibles avec Nonna Mayer (Presses de Science Po).
**Toi, moi et la politique : amour et conviction d’Anne Muxel (Éd.Seuil), 2008.