Mais quel est le secret de la félicité danoise ? Ce royaume d'à peine 5,5 millions d'habitants ne cesse de caracoler en tête du World Happiness Report, soit le classement par l'ONU des pays où l'on vit le plus heureux. Un bonheur inconditionnel dont une des composantes est le hygge (prononcer hu-gueux), un terme que l'on pourrait traduire par cocooning. Si vous n'avez jamais entendu parler de ce concept – malgré vos heures passées devant des polars scandinaves – direction la librairie pour rattraper votre retard. Après avoir fait l'objet d'une centaine de livres, cet art de vivre est au centre de deux ouvrages en français sortant ce mois-ci : Hygge, l'art de vivre à la Danoise de Louisa Thomsen Brits (Robert Laffont), et Le livre du Hygge, écrit par Meik Wiking (First Editions), Président de l'institut du bonheur de Copenhague.
Comfort food et pyjama en pilou
La question vous brûle sans doute les lèvres : mais qu'est-ce que lehygge ? A en croire Meik Wiking, c'est une philosophie de vie difficilement descriptible, puisqu'elle tient davantage de “l'ambiance et de l'expérience”. Pour mieux illustrer son propos, il partage le souvenir d'un week-end entre amis dégoulinant de bonheur, qui semble tout droit tiré d'un téléfilm de Noël : “nous étions tous fatigués après une randonnée, à moitié endormis, en demi-cercle autour de la cheminée, emmitouflés dans de gros pulls et des chaussettes en laine. Les seuls bruits audibles étaient ceux du ragoût qui mijotait, les étincelles du feu et les gorgées de vin chaud que l'un d'entre nous avalait. C'est alors qu'un de mes amis a brisé le silence :‘est-ce que ce moment pourrait être encore plus hygge ?’.‘Oui, a répondu une des filles, si une tempête de neige faisait rage dehors’.”
Derrière ce terme obscur se cachent en fait des préceptes assez simples : passer des moments privilégiés avec ceux qu'on aime (sans tripoter son smartphone), se lover sous une couverture avec une tasse de thé un soir d'orage, émailler son intérieur de bougies et autres sources lumineuses, savourer de la comfort food dans un pyjama pilou… Autant de rituels qui participent d'une stratégie de survie hivernale. Dès lors, se prélasser dans un bain ou faire une razzia chez Dyptique feraient-il de nous des Danois en puissance ? “A la différence des Français, c'est vraiment inné pour nous. Chaque matin, je consacre une heure au hygge, avant de démarrer ma journée. Quand j'étais directrice de communication pour le groupe Hyatt, cela faisait aussi partie de mon quotidien professionnel. Mes collègues étaient d'ailleurs ravies de me voir allumer des bougies ou préparer du thé chaud”, raconte Malene Rydahl, auteure d'Heureux comme un Danois.
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Coup marketing ou vraie philosophie de vie ?
Attention toutefois à ne pas voir dans cet art de vivre“une méthode miracle”, avertit la conférencière, le secret du bonheur danois résidant aussi dans une multitude d'autres facteurs : le niveau élevé de confiance, l'efficacité de l’État providence ou l'importance donnée à l'équilibre vie privée/vie professionnelle. Alors, à mi-chemin entre la slow life et la méditation de pleine conscience, le hygge serait-il un ultime concept marketing vendu à une société obsédée par la quête dubien-être, désespérée de trouver un moyen de déconnecter du smartphone autant que des news anxiogènes ? “ Entre Trump, le Brexit et les fractures sociales, on vit dans un monde très difficile. Affirmer qu'il y a un remède à la morosité donne de l'espoir et de l'inspiration”, confirme Malene Rydahl. D'autant, qu'à une époque marquée par la menace terroriste, la perspective de transformer son intérieur en cocon, de cultiver l'amour et la bienveillance, n'a jamais été aussi séduisante. Meik Wiking évoque ainsi dans son livre “la sensation d'être en sécurité, protégé du monde extérieur et de pouvoir enfin baisser la garde”. Le Graal ultime dans une époque anxiogène comme aujourd'hui.