
Regardez l’homme qui éponge le front d’Aretha Franklin pendant qu’elle chante : c’est son père. Le révérend C.L. Franklin qui a milité pour les droits civiques des Noirs dans les années 1960-70, a hébergé Martin Luther King chez lui, et est mort en 1984 des suites d’une agression. C’est le seul moment où il y a contact physique entre eux. Car même quand le père fait l’éloge de sa fille au micro, il n’ose pas la regarder. Et Aretha baisse les yeux. Signe de respect, de grande pudeur ou de domination patriarcale ? On s’interroge, on ne sait pas trop…
Ce jour-là, dans la salle d’une petite église de Los Angeles, il y a deux cent personnes environ, dont Mike Jagger et Charlie Watts, debouts tout au fond, qui sont parmi les rares Blancs privilégiés à assister au spectacle. Il fait très chaud. Tout le monde transpire. Derrière Aretha, qui fit tant pleurer Barack Obama en 2015 en chantant "A natural woman", il y a les choristes. Et plus que le public qui entre en transe, ce sont eux les plus intéressants à regarder, joignant leur voix à celle, divine, d’Aretha. Certains pleurent, d’autres restent impassibles. C’est fou comme Aretha Franklin, qui fut sacrée meilleure chanteuse de tous les temps par le magazine Rolling Stone en 2010, reste humble et concentrée pendant toute sa prestation ! Elle n'a que vingt-neuf ans cette année-là. Et elle est déjà maman de deux adolescents qu’elle a eues à l’âge de treize et quinze ans. Bien sûr, l’acmé de ce concert, dont Aretha n’avait jamais autorisé la diffusion de son vivant (elle est morte l’année dernière), c’est cet Amazing Grace, hymne chrétien magnifique. Alors, certes, tous ces chants religieux, si beaux soient-ils, peuvent lasser. Mais si Dieu n’est pas une invention humaine, alors il a dû se régaler ce jour-là.