
Doit-on encore présenter Luz ? Au cas où, quelques mots de rappel : ce génial illustrateur a signé parmi les unes les plus fortes de Charlie Hebdo, a échappé par chance et de justesse à l’attentat du 7 janvier 2015 et a de nombreuses bandes dessinées à son actif dont le rigolo Faire danser les filles (2006) ou le caricatural Les Sarkozy gèrent la France (2009). Récemment, il mettait également en images le sublime Ô vous, frères humains, d’Albert Cohen, réussissant à transmettre la langue scandée, quasi incantatoire, de l’écrivain.
Un film maudit
Bref, Luz est bien plus qu’un dessinateur doué, c’est aussi un auteur, et un amateur d’art d’une inlassable curiosité. Ce que nous prouve Hollywood Menteur, originellement publié en feuilleton dans les Cahiers du cinéma. Il y retrace l’atmosphère oppressante du tournage de The Misfits, Les désaxés en français, qui sera un échec cuisant au box-office. Il faut dire que les planètes n’étaient pas exactement alignées. Réalisé par John Huston en 1960, ce film est basé sur un scénario de l’écrivain Arthur Miller, alors marié (plus pour très longtemps) à Marilyn Monroe. Elle partage l’affiche avec Clark Gable, rongé par l’alcoolisme, et Montgomery Clift, bourré de médicaments suite à un terrible accident de voiture. Sous le cagnard du désert du Nevada, les acteurs ruminent leurs traumas et leurs frustrations, à deux pas du précipice et de la folie : Gable meurt quelques mois plus tard, Marilyn en 1962 et Clift en 1966.
Ici, Luz nous fait rentrer dans l’intimité d’une des actrices les plus idolâtrées et incomprises de l’histoire du cinéma : Marilyn. Et partage avec nous son obsession. "J’avais vu le film de John Huston avec mon amoureuse fin 2014, explique-t-il. Quelques mois après, notre vie entière a été chamboulée. Et au milieu des décombres mentales qu’il m’a fallu ramasser, il y avait l’image de Marilyn qui revenait sans cesse. Comme un poster décollé d’un mur qui c’était lui-même écroulé. Un poster qui ne trouve plus sa place ailleurs que dans votre tête. "
La colère d’une femme
En noir et blanc, avec l’aide d’un trait qui ne s’embarrasse guère de coquetterie, Hollywood Menteur impressionne par la précision de ses informations. Et en effet, comme le dit Luz, "il a fallu revoir une vingtaine de fois The Misfits, dessiner des centaines de croquis et passer plusieurs années sur cette bande dessinée pour comprendre : derrière le symbole que Marilyn était devenue, il y avait une femme en colère. Je me suis rapproché d’elle en dessin pour saisir pourquoi. C’est un livre autant sur les backstages d’un tournage mythique que sur les coulisses psychologiques d’une actrice en quête de normalité."
Une normalité qu’elle ne parviendra jamais à atteindre, elle qu’on voit toujours sourire sur les photos, même si le jeu de la séduction permanente la répugnait de plus en plus – ce que montre, distinctement, Luz, dans l’une des scènes les plus fortes d’Hollywood Menteur. Bien que l’on soit touché par les cauchemars de Monty Clift que raconte aussi Luz, transperce la souffrance réelle et physique, de l’actrice : "Marilyn a été photographiée des milliers de fois, et pas une seule fois on ne la voit en colère. Victime des hommes, d’Hollywood, et aussi d’endométriose, elle avait toutes les raisons de se mettre en boule. Pourtant, malgré son sourire de sex-symbol, elle reste pour beaucoup d’entre nous une puissante figure de liberté. Dans cette BD, j’ai voulu lui offrir aussi la possibilité d’être un symbole de courage."
"Coups de pelles en travers de ta gueule ! "
Montrer une autre Marilyn, dénoncer les rouages machistes de Hollywood, voilà ce qui vaut au livre une postface très efficace de Virginie Despentes en personne, qui en fait une « icône rock’n’roll », d’après le dessinateur. "Moins de "Poupoupidou", écrit-elle, plus de coups de pelles en travers de ta gueule – et c’est nous tous qui nous sentons rassemblés. Réhabilités. C’est la colère de l’agneau, la colère de la sainte martyre, la colère de l’enfant – la colère de tous les absents à qui on a arraché la parole."
Ainsi, Luz confirme son point de vue dépourvu de toute empreinte sexiste. Un point de vue qui est sien depuis longtemps : "Le féminisme a toujours été un de mes principaux chevaux de bataille. J’ai depuis quelques années laissé tomber le dessin de presse pour des travaux graphiques au long cours, mais pas mes combats politiques. J’aurai bien aimé dessiner au moment de #meetoo tous ces machos qui rasent les murs, la queue dans leur poche. Finalement, c’est dans Hollywood Menteur que j’ai pu m’exprimer sur le sujet. Grâce au cri de Marilyn devenu aussi le mien." Et le nôtre, que nous devons apprendre à ne plus retenir.
Luz, Hollywood Menteur, Futuropolis