Parce qu'ils sont le symbole de la culture anglaise, une institution à l'image médiatique policée (bien qu'émaillée par des scandales), la famille royale britannique ne cesse de fasciner. On ne compte plus les fictions sur les frasques d'Henri VIII, tombeur de la Cour et tombeur de têtes, de la plus rock'n'roll (Les Tudors) à la plus minimaliste (Wolf Hall). Quand la télévision prend un parti satirique avec la comédie The Windsors, le cinéma se la joue dramatique avec l'excellent Discours d'un roi ou le biopic sur Lady Di. Cette fois, c'est une figure plus contemporaine et moins sulfureuse qui est mise à l'honneur dans The Crown. Une grosse production Netflix de dix épisodes (et planifiée sur six saisons) mettant en scène les soixante-trois ans de règne d'Elizabeth II. A peine âgée de 25 ans, celle-ci devient souveraine d'un empire en déclin, paralysé par une crise financière, et marquée par les stigmates de l'après-guerre mondiale.
Pour mettre en images cette fresque, le géant du streaming a alloué 156 millions de dollars de budget à l'équipe et misé sur un duo d'experts. A la production, on retrouve Stephen Daldry, réalisateur de The Hour, et à l'écriture, Peter Morgan, scénariste du film The Queenavec Helen Mirren. Le résultat s'en ressent : entre les somptueux costumes et les décors luxueux, on a droit à une vraie plongée dans le faste des Windsor, sans virer à l'étalage de clinquant. Buckingham Palace n'a pas à s'inquiéter d'une mauvaise publicité, The Crown traite de son sujet avec déférence et soin. Certes, certains crieront au crime de lèse-majesté en voyant la scène d'ouverture (le roi George VI crachant du sang) ou l'image du Prince Philip (Matt Smith de Doctor Who) à moitié nu. Pour autant, la série ne tombe jamais dans le racoleur et prend ces libertés pour dessiner un authentique portrait de famille. Conscient du contrat implicite passé avec le public, Peter Morgan s'évertue à humaniser ses personnages, dans leurs qualités autant que dans leurs réactions face à l'adversité. Entre deux parades médiatiques, la caméra se faufile entre les portes, dans les chambres, au cours d'un dîner ou d'une opération, pour capturer des moments d'intimité. Des séquences qui offrent aussi une image du couple royale bien différente de celle renvoyée par les médias, celle d'un Philip drôle mais fier, d'une Elizabeth vulnérable, mais responsable. Un duo à la complicité indéniable (exposée lors du voyage au Kenya) dont la relation sera affectée par l'exercice du pouvoir.
Car il est avant tout question des sacrifices inhérents à la fonction de reine, de la solitude d'une vie plus subie que souhaitée. “Vous ne croyez pas que j'aurais préféré grandir loin des projecteurs, loin de la Cour, loin du regard de tous”, demande d'ailleurs la protagoniste Dans les premiers épisodes, elle apparaît écrasée par le poids des responsabilités et prise dans un bras de fer perpétuel avec Winston Churchill. L'accession au pouvoir est représentée comme une mort (tuer l'ancienne Elizabeth), soulignée par la musique dramatique et les monologues aux accents Shakespeariens (procédé sur-utilisé dans la série). Mais en filigrane, on assiste à l'émergence d'une nouvelle figure, une femme sortant de son rôle d'épouse pour s'affirmer en tant que reine, quitte à blesser l'égo fragile de son compagnon. Parvenant à un vrai équilibre entre intrigue politique et privée, entre sobriété historique et libertés (mélo)dramatiques, The Crown jouit aussi d'un casting impeccable. Matt Smith brille par son charisme, Claire Foy dégage un prisme d'émotions en un regard, tandis que John Lithgow incarne un Churchill aussi cynique qu'excentrique. Des performances subtiles à l'image d'une série ne sacrifiant jamais sa qualité sur l'autel du divertissement.
"The Crown" de Peter Morgan avec Claire Foy et Matt Smith. Saison 1 diffusée sur Netflix à partir du 4 novembre.