
L’autre jour, alors que je faisais visiter Paris à un ami texan, une trottinette électrique conduite par un homme d’allure classique auquel s’accrochait, debout derrière lui, une femme peu rassurée, a heurté un vieux monsieur qui déboulait d’une porte cochère. Cris, hurlements et tout le tremblement. Descendu de son terrible engin, le couple s’est éloigné, tête baissée, sous les invectives du piéton. "Ah c’est donc vrai que tout le monde s’engueule à Paris !" s’est enthousiasmé l’ami texan. Eh oui, plus que jamais, depuis que les trottinettes ont envahi la capitale (plus de 20 000 recensées) et les autres grandes villes de France, les conflits se multiplient. Jusque sur les plateaux de télévision où des acteurs tels Vincent Lindon, rejoignant la longue cohorte des artistes ronchons, se demandent si la trottinette n’est pas une invention de la maire Anne Hidalgo pour apporter aux hôpitaux leur quota de blessés à soigner (comme si les hôpitaux n’étaient pas assez débordés !).
Après comptage des plaintes et des cabossés (31% des blessures en trottinette le sont à la tête), la ministre des transports Elisabeth Borne a sonné le tocsin. Des tas de gens importants se sont concertés et une nouvelle réglementation a été élaborée, applicable dès la rentrée. En vrac, cela donne : port du casque et du gilet fluo la nuit obligatoire, vitesse limitée à 25 km/h, interdiction de rouler sur les trottoirs, obligation d’emprunter les pistes cyclables, amende de 135 euros pour les contrevenants, interdiction de trottiner électriquement lorsqu’on a moins de 8 ans. Sur ce dernier point, certains, comme Anne Lavaud, déléguée générale à l’association Prévention Routière veulent aller encore plus loin, demandant que l’interdiction concerne les moins de quatorze ans…
J’en connais qui ne vont pas être contents : tous les gamins de mon quartier ravis de zigzaguer, le nez au vent (enfin, le nez dans les particules fines) à deux voire à trois sur le même engin. Car, après avoir grogné de concert avec les piétons, il m’a bien fallu le concéder : la trottinette a apporté un vent de fraîcheur à la ville. Toutes les strates de la population s’en sont entichés, les traders comme les teenagers, les classicos comme les coolos, un vrai melting-pot sur roulettes. Et on comprend pourquoi : pas d’essence, pas de bruit, peu d’argent à dépenser, pas de parking à payer ni de station Vélib à trouver. Mais voilà qu’à peine lâchée, la trottinette électrique est déjà matée. Trop dangereuse, trop imprévisible, trop envahissante! (abandonnée n'importe où sur les trottoirs). Certains même, en cherchant bien, ont trouvé des arguments pour la déclarer "ennemie de l’environnement" (elle serait récupérée et rechargée par des préposées roulant en 4X4 la nuit). En traînant les pieds, je vais donc rejoindre les rangs du binôme "sécurité et sûreté", jamais très copain avec liberté. Adieu, trottinette folle, tu vas quand même (un peu) me manquer !