
Demandez à n’importe quel mâle hétérosexuel de définir un rapport sexuel. Il vous parlera de préliminaires (éventuellement) puis d’un pénis très dur et très conquérant qui rentre dans le vagin d’une femme, probablement allongée sur un lit. Ajoutez à cela quelques minutes de cuisson et boum, dans un râle viril, l’homme éjacule dans le vagin de la femme, fin de l’histoire.
Pourtant, moins d’une femme sur cinq atteint l’orgasme par pénétration uniquement. Et c’est sans compter sur celles pour qui la pratique est tout simplement désagréable voire douloureuse. Rita, 28 ans confie qu’elle "s’ennuie au bout de la huitième minute de pénétration". De son côté, Marie, 33 ans, ne trouve à la chose que peu d’intérêt : "C’est parfois agréable mais je n’ai jamais joui grâce à la pénétration, ça ne marche que quand je pose un vibromasseur sur mon clitoris en même temps, ce qui n’est pas toujours évident à faire comprendre à mes partenaires".
Il y a des femmes qui jouissent en étant pénétrées, voire très intensément, voire plusieurs fois. Mais globalement, le schéma préliminaires/pénétration/dodo n’est favorable qu’aux hommes. Ce qu’on appelle de façon archaïque les "préliminaires" sont rarement assez longs et qualitatifs (comprendre : l’homme stimule le clitoris de la femme pendant environ quinze minutes avec ses doigts ou sa langue) pour combler le "fossé des orgasmes", conséquence directe d’une sexualité phallocentrée. Résultats, les hommes jouissent et les femmes espèrent mieux pour la prochaine fois ou se débrouillent toutes seules.
Heureusement, les langues (pardon) se délient. Les comptes Instagram comme @tasjoui, @jouissance.club tentent d’envoyer au tapis la sacro-sainte pénétration pour ouvrir les chakras des petits forniqueur.euses et imposer une sexualité plus vaste, plus diverse, plus centrée sur le plaisir des femmes. Un discours qui fait mouche sur les internets. Au vu du succès des initiatives comme Clit Révolution, on se demande presque pourquoi il est nécessaire d’écrire ces lignes.
Un petit tour dans une soirée arrosée où la population n’est pas composée exclusivement de personnes "woke" et actives sur Twitter ou Instagram suffit pour répondre à cette question. Dans le vrai monde hostile, les discours masculinistes sont encore légion : "Mais c’est la nature, on a toujours fait comme ça", "L’homme a des besoins, c’est biologique" ou pire "Je suis pour l’égalité mais bon, il y a quand même ce geste de 'pénétrer’ la femme, ça veut quand même dire ce que ça veut dire".
Derrière cet attachement à la pénétration il y a un facteur culturel indéniable. Impossible pour beaucoup d’imaginer que le spectre sexuel soit plus large que ça : un rapport misant tout sur des caresses, des massages, des jeux de mains, des rapports buccaux, des mots échangés sans que tout ça ne se termine en levrette avec fessée. Mais il y a aussi une paresse. La paresse de questionner sa sexualité, d’accepter de se détourner de la norme pour explorer autre chose. Parce que c’est quand même tellement pratique de caler son pénis au chaud et d’attendre que ça sorte. La sexualité doit devenir une expérience plus globale si l’on veut que les gens (et surtout les femmes) s’y intéressent encore.
Pour ça, il est nécessaire de démocratiser des pratiques qui ont encore aujourd’hui mauvaise presse : la masturbation mutuelle – qui en plus d’être super efficace limite la transmissions d’IST et MST– le frotti-frotta, le "nipple play" (qui peut conduire à des orgasmes mammaires) et le plaisir prostatique, encore trop souvent perçu comme "dévirilisant" pour certains hommes (l’homophobie n’est jamais très loin). Bref, le plaisir partagé sans pénétration existe et il est accessible, pour qui veut bien l’imaginer.