
La pédocriminalité aura décidément été l’un des sujets les plus discutés de ces derniers mois. D’abord, en raison de la polémique créée par la sortie, en février 2019, de Grâce à dieux, le film de François Ozon inspiré par l’affaire Barbarin. Puis par la condamnation de ce dernier pour non-dénonciation de crimes pédophiles début mars. Deux semaines plus tard, la diffusion de Leaving Neverland, docu de Dan Reed sur les accusateurs de Michael Jackson, mettait le feu aux réseaux sociaux. Le 27 mars, c’est le nom de Christian Quesada, vainqueur du jeu télé Les 12 Coups de midi qui faisait les gros titres, suite à son arrestation pour diffusion d’images pédopornographiques et corruption de mineur.
Cette rage qui s’empare de moi aujourd’hui m’incite, plus que jamais, à continuer mes combats, dont celui de protéger et d’accompagner au mieux nos enfants.
— Jean-Luc Reichmann (@JL_Reichmann) 28 mars 2019
Nous devons rester avant tout unis, et surtout être ensemble sur les réseaux, qui peuvent devenir des fléaux dévastateurs pic.twitter.com/viomfzSOZh
A en croire les réactions outrées de Jean-Luc Reichmann, présentateur de l’émission, et des internautes, les actes dont on soupçonne Christian Quesada représentent le crime des crimes. Ce que confirme Valérie Rey-Robert, autrice féministe d’Une culture du viol à la française. Du troussage de domestique à la liberté d’importuner (ed. Libertaria) : "Notre société fait clairement une hiérarchie entre les viols, et ceux commis sur des enfants sont vus comme les plus graves, analyse-t-elle. Sauf que, déjà pétris d'idées reçues sur le viol sur des personnes adultes, on est encore moins aptes à penser ceux subis par des mineurs". Un manque de recul émotionnel et intellectuel auxquels s’ajoute notre bonne vieille culture du viol, ce concept sociologique désignant les comportements et attitudes qui minimisent ce crime, voire qui l’encouragent.
Le mythe de l’enfant consentant
Si Leaving Neverland a eu droit à une importante couverture médiatique, sa sortie a surtout été l’occasion d’une campagne de victim blaming (ces attaques contre les victimes visant à décrédibiliser leur parole), orchestrée par les fans hardcore de MJ. Mais les anonymes ne sont pas les seuls à l’avoir défendu : début mars et sur le plateau d’On n’est pas couché, Yann Moix expliquait que la pop star ne pouvait pas être un pédocriminel, car il lui-même "était un enfant". Une semaine plus tard, c’était au tour du prêtre Alain de la Morandais de justifier ce type de crime sur LCI, en arguant que l’"enfant cherche spontanément la tendresse" des adultes. Des propos qui ont choqué, mais qui prouvent l’existence d’un discours bien rodé sur le sujet, au point qu’il s’exprime jusque sur les plateaux télé.
"La culture du viol en matière de pédocriminalité est très ancrée dans notre société, confirme Valérie Rey-Robert. Pour se perpétuer, elle a droit à sa propre rhétorique : on parlera des criminels comme d’hommes-enfants, ou bien d’enfants plus matures que leur âge – un discours encore plus fréquent quand on parle d’enfants racisés, et qui sert notamment à ‘justifier’ le tourisme sexuel". Des organisations vont même jusqu’à faire de la pédocriminalité un enjeu de lutte, avec théories 'scientifiques', lobbying et outils militants. L’un des exemples les plus connus étant sans doute la NAMBLA (North American Man/Boy Love Association), association états-unienne fondée dans les années 70 pour promouvoir cette forme d’"amour" et lutter contre les lois empêchant les enfants de "faire ce qu'ils souhaitent de leur sexualité", qui comptait dans ses rangs Allen Ginsberg (célèbre poète de la Beat Generation). Si le nombre de membres de la NAMBLA a largement diminué depuis le milieu des années 1990 et le durcissement des lois sur le sujet, son site, lui, est toujours en ligne et les militants pro-pédocriminalité, actifs sur le Web.
c'est un argument phare de NAMBLA et autres associations de défense des pédocriminels. le pédocriminel se déclarant comme un homme comprenant mieux les enfants, ayant un tempérament proche du leur, il en est presque un. https://t.co/QfQ68trsgO
— Valerie Rey-Robert (@valerieCG) 10 mars 2019
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Mais ils ne sont pas les seuls à tenter de légitimer leurs actes : c’est le cas de notre société toute entière, qui préfère les minimiser (quand elle ne les passe pas tout bonnement sous silence), et qui refuse de les voir autrement que comme l’œuvre de monstres – certainement pas d’un membre de l’autorité religieuse, d’une idole ou d’un proche. Et si, selon Valérie Rey-Robert, la rhétorique justifiant la pédocriminalité a évolué, le problème, lui, est toujours là, y compris chez nous. "En France aussi, dans les 70s, de nombreux penseurs la prônaient ouvertement", rappelle l’autrice. A l’époque, Sartres, Beauvoir et d’autres intellectuels de premier plan signaient deux lettres ouvertes visant à assouplir la majorité sexuelle en France, et des personnalités politiques justifiaient "l’amour libre avec les enfants". "Ce discours-là tend à disparaître, poursuit Valérie Rey-Robert. Par contre, on continue à déculpabiliser à la pelle des pédocriminels, dans les sphères publiques comme au sein des familles, et cette branche à part entière de la culture du viol persiste." De même que l’hypersexualisation des petites filles, qui a trouvé d’autres supports que les calendrier de David Hamilton pour s’exprimer, comme le prouve un rapide tour des médias traditionnels (coucou les magazines friands de mannequins mineurs aux poses lascives). Et évidemment, du Web, YouTube et TikTok en tête. Où quand une société feint d’être horrifié par des crimes qu’elle encourage.