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Reportage : on a suivi le collectif féministe La Barbe dans une action contre la non-mixité masculine

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Jeudi 25 avril 2019, les militantes du collectif féministe La Barbe se sont invitées à un débat sur l’Europe au Cirque d’Hiver, organisé par le très droitier Valeurs Actuelles, avec un panel d’intervenant 100% blanc et masculin. Une action pacifique, pourtant réprimée avec une violence à peine croyable. Reportage.

Le rendez-vous a été fixé à 19 heures. Une vingtaine de femmes sont regroupées au fond de L’Etincelle, un PMU du 11e arrondissement de Paris. Toutes sont membres de La Barbe, collectif féministe créé il y a 11 ans, qui dénonce "le monopole du pouvoir par quelques milliers d’hommes blancs". Leurs faits d’armes : s’inviter sur scène, munies de fausses barbes, et envahir différents colloques, conférences ou débats, dont les seuls protagonistes sont des hommes blancs.

Pour leur 214e action, leur plan est d’envahir le Cirque d’Hiver qui accueille un débat sur l’Europe. Au programme ? Plusieurs discussions organisées par l’hebdomadaire réactionnaire Valeurs Actuelles, avec un casting étincelant : le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour, le sémillant ministre de l’économie Bruno Lemaire, l’économiste girouette Jacques Attali, le tête de liste des Républicains aux européennes François-Xavier Bellamy, l’historien autoproclamé Philippe de Villiers, l’essayiste fan d’opérette Benoit Duteurtre et enfin, Michel Houellebecq, écrivain adepte de la théorie du grand remplacement. Au total, sept hommes, aucune femme. Pour les militantes, la tentation était trop grande de leur rendre visite.

Rassemblées autour des petites tables de L’Etincelle, nouvelles et anciennes "barbues" font connaissance. "On n’a jamais été aussi nombreuses", se réjouit Marianne*, membre historique du collectif. Il est temps de donner les instructions. Une autre pionnière briefe l’équipe, en détaillant les scénarios envisageables. Plan A : tous les intervenants sont présents sur scène au début de l’événement, ce qui implique une intervention directe (entrée sur scène puis lecture d’un tract). Plan B : s’il y a des "malabars" (comprendre, des vigiles peu amènes), les barbues mèneront leur action dans le public. Plan C : si elles ne peuvent pas pénétrer dans le bâtiment, elles distribueront des tracts. La consigne ultime étant : "Prenez du plaisir".

En binôme, les militantes se faufilent incognito dans la longue queue qui mène au Circle d’Hiver. On suit Marie* et Claudine*, membres de La Barbe depuis les débuts du collectif. "Généralement l’adrénaline monte une heure avant l’action. Cette fois ci, elle est présente depuis hier soir", explique Claudine. Après 45 minutes de queue, toutes les militantes sont enfin rentrées. Eparpillées dans une salle remplie de 1600 personnes, c’est via une conversation Whatsapp qu’elles décident d’activer le plan D : toutes celles qui peuvent aller au centre y vont. On remarque la présence d’un dispositif colossal de sécurité, public comme privé. Coupes de cheveux militaire, épaules carrées prêtes à faire éclater les costumes… "Vu leur gueule, ils ne sont pas là pour rigoler, on va prendre cher", se prépare Marie. Des paroles visionnaires.

Après un premier long débat entre Jacques Attali et François-Xavier Bellamy, Geoffroy Lejeune, rédacteur en chef de Valeurs Actuelles, entre en scène.  Il présente la deuxième discussion de la soirée, celle tant attendue entre Eric Zemmour et Bruno Lemaire. Tous deux entrent sous un tonnerre d’applaudissements. "C’est parti", souffle Marie. Les intervenants s’assoient, les militantes se lèvent. Affublées de leurs fausses barbes, elles tentent une à une d’arriver au centre de la scène, en contrebas des gradins. Le temps s’arrête. Pendant trois longues minutes, les militantes, qui tentent une à une de prendre la parole, sont évacuées voire molestées par les services de sécurité. Une scène d’une grande violence, comme le montre la vidéo ci-dessous.

Mais la sécu n’est pas la seule à intervenir… Sur son compte Twitter, Alice Coffin, journaliste et membre active de La Barbe, dénonce la complicité du rédacteur en chef de Valeurs Actuelles : "Mention spéciale à Geoffroy Lejeune, qui alors que j’étais déjà soulevée par quatre molosses, a cru bon de venir me saisir par la jambe histoire d’aider, puis est revenu une deuxième fois à la charge". Violence supplémentaire, les huées du public, qui se met même à scander "Dehors les gauchistes". Eugénie Bastié, présente dans le public, est hilare.

Une fois la scène évacuée, la cohue continue. Les actions violentes continuant en coulisse, les barbues finissent par toutes emprunter une sortie annexe et se retrouvent rue de Crussol. Leur constat est sans appel : en 214 actions, celle-ci est de loin la plus violente. On retrouve Marie, le nez ensanglanté."On m’a juste plaquée au sol", explique-t-elle avec désinvolture. On se regroupe : "Tu vas bien ?", "Tout le monde est là ?"

Tout à coup, l’ambiance se tend à nouveau. Accompagné par son garde du corps, Jacques Attali, qui a terminé son intervention, sort à son tour dans la petite rue et rejoint son véhicule. Les militantes l’interpellent : "Ca ne vous dérange pas de rester les bras croisés face à une telle violence ?", crie l’une d’elle, une autre poursuivant : "Qu’avez-vous à dire Jacques Attali ? On frappe des féministes et vous ne dîtes rien ?" Mais l’économiste ne daigne même pas répondre, tournant volontairement le dos à celles qui l’interpellent. "Il y a cinq minutes, il parlait de paix et de vivre ensemble. Maintenant il ignore nos blessures, note amèrement une militante. Merci pour votre soutien, les vieux mâles blancs".

"C’était de la violence volontaire, affirme Alice Coffin, qui enchaîne les interviews auprès des médias qui sont présents à l’événement. Ils ont juste rendu visible la haine de tout ce qui n’est pas eux". Derrière un cordon d’une dizaine de policiers, les militantes blessées donnent une par une leur déposition. L’action se termine avec une photo de groupe devant le Cirque d’Hiver. Alors qu’elles sont escortées hors de la zone par les forces de l’ordre, les barbues reçoivent de nombreuses phrases de soutien et même, des applaudissements de la part de commerçant.e.s voisine.e.s. Elles finiront leur soirée dans le bistrot d’en face, pas peu fières de leur action : "Au moins, ils doivent être dégoutés de s’être laissés déborder. Et rien que ça, c’est cool."

*les prénoms ont été modifiés


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