Dans La Vocation (Robert Laffont), écrit par Sophie Fontanel, un paragraphe aiguise la curiosité. Intitulé "Les Trois Chinois de Venise", il relate la rencontre de l’auteure avec trois journalistes discutant de la place de second choix que la mode accorde à leur pays, la Chine, depuis la Révolution culturelle menée par Mao. "Vous, l’Europe, vous dites que vous savez tout faire, les dentelles de Calais, la broderie anglaise, mais tout ça existait en Chine aussi, et depuis fort longtemps, lui explique un rédacteur du Esquirechinois. On ne peut pas laisser le reste du monde nous vendre du passé, on en a un aussi. Notre génération peut ressusciter de belles choses."
Tatillon sur le textile
Matières cheap, finitions hasardeuses ou faux cuir qui sent le plastique, main-d’œuvre exploitée... Quand on évoque le "made in China", les amateurs de belles pièces font encore la grimace. Mais le pays est bien décidé à gommer cette mauvaise réputation qui lui colle aux basques. En 2013, le gouvernement chinois a lancé "Made in China 2025", un plan sur dix ans visant à améliorer la production de l’industrie textile et à en faire un symbole de qualité et d’innovation. De nombreux secteurs sont concernés, dont les nouveaux matériaux et biotechnologies. Sans oublier un salaire moyen en hausse de 40 % pour les ouvriers en 2015, selon le Bureau national des statistiques chinois.
Le pays tente également de s’aligner sur les normes de production européennes avec la ratification de l’accord de la COP 21, voire de les dépasser avec la mise en place de 1 000 usines pilotes vertes et de 100 zones industrielles écologiques. Une stratégie payante, bien que certaines griffes de luxe aient déjà franchi le cap : Prada, Armani ou encore Burberry fabriquent certaines de leurs pièces en Chine depuis 2007. Et quand le Wall Street Journal a divulgué cette info en 2011, Miuccia Prada a rétorqué : "Tôt ou tard, ce sera le cas pour tout le monde, la manufacture chinoise est de bonne qualité." Mais le tabou n’est pas si facile à effacer. Le Monde remarquait en 2015 que souvent, ces marques mentionnaient "Imported" sur leurs produits, sans plus de précisions. Un silence que la nouvelle garde de designers chinois a bien l’intention de rompre.
Le nouveau "made in Italy" ?
Si des créateurs d’origine asiatique tels qu’Alexander Wang, Jason Wu et Phillip Lim n’ont jamais caché produire en Chine, de nouveaux visages prennent aujourd’hui la relève et assument la tête haute. Sur leurs frêles épaules repose la responsabilité de redonner du prestige à la mode du pays. Ils s’appellent Steven Tai, Harry Xu, Xu Zhi ou encore Angel Chen. A 25 ans, cette dernière s’est fait remarquer avec Chinese Punk, sa collection de fin d’études à la Central Saint Martins en 2014. Nommée dans le top 5 des étudiants diplômés à suivre par i-D, Angel a déjà collaboré avec Opening Ceremony, Urban Outfitters et Adidas. Si c’est l’Europe qui l’a formée, c’est dans son pays qu’elle a choisi de fabriquer ses collections. "La Chine est le plus grand producteur de produits manufacturés dans le monde. Ma marque bénéficie du bas coût et de la rapidité de production, ce qui est crucial lorsqu’on est indépendant", déclarait-elle à Also Journal en février dernier. Et ils sont nombreux à lui emboîter le pas. Les fans de mode chinois, qui adorent consommer local, en sont ravis et y voient une bonne raison de plus de faire chauffer leur CB. Le "made in Italy", jusque-là gage ultime de qualité, n’a qu’à bien se tenir.