Années 20. Rose, une gamine qui souffre de l’absence de sa mère, une star du cinéma muet obnubilée par sa carrière, fugue pour retrouver cette dernière à New York. Années 70, Ben, un gamin traumatisé par le décès récent de sa maman, fugue pour retrouver la trace de son père à New York, un homme qu’il n’a jamais connu… Quels rapports entre ces deux enfants, séparés par un demi-siècle de vie, mais réunis par un même handicap, la surdité, et par un même désarroi affectif ? Telle est la question, la très bonne question.
Depuis ses débuts dans les années 90, Todd Haynes nous aura tout fait. Et tout bien fait… Parmi ses nombreux titres de gloire, le cinéaste a signé le biopic le plus étonnant de l’histoire du cinéma : I’m not there, sur Bob Dylan, incarné par six acteurs et actrices différents. Il a rendu un hommage sidérant à son maître Douglas Sirk, le grand maître du mélo hollywoodien, dans un somptueux portrait de fille en crise : Loin du paradis, interprété par sa comédienne fétiche : Julianne Moore. Il a signé un film bouleversant sur la relation amoureuse entre deux femmes dans l’Amérique puritaine des années 50 : Carol, campé par Cate Blanchett et Rooney Mara. On en passe… Le nouveau film de l’orfèvre du cinéma américain, Le musée des merveilles, a été présenté en mai dernier en compétition au Festival de Cannes, mais il n’a pas convaincu le jury présidé par Pedro Almodovar. Et l’on se demande encore pourquoi il est reparti bredouille de la Croisette. Avec ses deux gamins affligés par la surdité, Todd Haynes s’impose un défi à sa mesure : bâtir un film où tout, ou presque, repose sur les regards, la suggestion, les silences. Admirablement écrit et filmé - la reconstitution des deux époques est "juste" sublime -, Le musée des merveilles dynamite les académismes, bouleverse en profondeur et, de surcroît, confirme combien Todd Haynes est un génial directeur d’acteurs. Non content de diriger les deux gamins comédiens avec une inspiration rare (et sans un milligramme de mièvrerie), le cinéaste offre deux rôles à son actrice préférée : Julianne Moore, aussi convaincante dans la peau d’une star du cinéma muet des années 20 rongée par son égoïsme que dans celle d’une femme "ordinaire" des années 70. Une double prestation fascinante et une raison supplémentaire de découvrir le film, l’un des plus beaux de la fin d’année. Voire le plus beau.
Olivier De Bruyn
Le musée des merveilles, de Todd Haynes, avec Oakes Fegley, Millicent Simmonds, Julianne Moore … Sortie le 15 novembre.