"Vous êtes du coin ? Vous savez si d'autres gens de mon âge ont reçu un hommage avant ?" James Franco a l'air soucieux quand on le retrouve sur le front de mer deauvillais en amont de la soirée où le festival du cinéma américain doit l'honorer. De fait, comment pouvait-il s'attendre à être récompensé pour l'ensemble de sa carrière à 38 ans seulement ? Qu'on se rassure, la star de Spiderman et de La Planète des singes, sex-symbol universel (comprendre il plait autant aux garçons qu'aux filles) et icône arty, n'a nullement l'intention de mettre un terme à sa carrière. Au contraire, Franco semble plus actif que jamais. Manifestement épuisé par son arrivée tardive la veille, mais rudement sympathique, il a répondu à nos questions coiffé d'une généreuse moustache, mi-hardeur Seventies (il incarnera des jumeaux dans la série The Deuce de David Simon, sur le milieu new-yorkais du porno), mi-romancier californien des années 30 (il présentait à Deauville In Dubious Battle, son dernier film en tant que réalisateur, adapté de John Steinbeck).
Vous venez de réaliser deux films coup sur coup, vous allez être à l'affiche d'un troisième, vous êtes engagé sur deux séries... Vous avez besoin de cette hyperactivité pour vous épanouir dans votre travail ?
Ca dépend un peu de mes fonctions. Quand je réalise, je ne fais rien d’autre au même moment. Mais quand je suis acteur c’est différent. Un acteur n’est pas responsable de l’histoire d’un film. Sur un tournage il y a beaucoup de temps morts entre les scènes, le temps d’éclairer le plateau pour une nouvelle séquence, ce genre de choses. Je crois que je suis passé maître dans l’art d’occuper mon temps pendant ces pauses… Mais l’urgence ne m’inspire pas plus que ça. Si je travaille beaucoup, c’est peut-être parce que j’ai la chance de faire un métier que j’aime et de le faire entouré de mes amis. Je crois même que je préfère retrouver mon ami Seth Rogen sur un plateau que pour fumer des joints ou boire des coups.
Vous avez peur du vide peut-être ?
Non, mais il est vrai qu’à Hollywood, les films végètent parfois à l’état de projet pendant une éternité. Je pense que ce n’est pas une fatalité, on peut faire bouger les choses. C’est ce que j’essaie de faire.
Vous enchaînez assez méthodiquement gros projets et productions arty. Vous tenez à ces aller-retours ?
Ma carrière est en partie programmée, en partie en roue-libre. Je n’avais pas fait de comédie, par exemple, avant Délire express, que j’ai fait pour Seth Rogen, mais l’accueil du public m’a poussé à en faire d’autres. Les films que je réalise, en revanche, sont des films qui n’existeraient sans doute pas autrement. Souvent des adaptations assez dures d'oeuvres littéraires qui m'ont marquées. A l’école de cinéma, on nous conseillait de trouver une voie propre. L'adaptation est mon trip à moi. Mais je cherche peut-être un truc plus mainstream désormais. Je vais réaliser deux épisodes de la série de David Simon dans laquelle je joue et j’ai aussi pu réaliser des épisodes de 11/22/63, qui est produite par J.J. Abrams. Même s'il s'agit encore d'une adaptation, In Dubious Battle est aussi plus accessible. Le film est adapté d'un roman méconnu de Steinbeck et je suis très fier de le présenter ici.
Vous dites que vous faites des comédies parce qu'elles ont l'air de plaire au public. Ca veut dire qu'elles ont moins d'importance à vos yeux que vos projets dramatiques ?
Il y a cette vieille formule "Un pour toi, un pour eux". C'est une manière de mener sa carrière. Si tu ne fais que des trucs pour toi et que ça ne marche pas, tu finis par ne plus rien faire. Et si tu fais tout pour le public, ça devient creux... C'est l'idée générale que j'essaie de suivre, comme Cassavetes pouvait le faire à son époque. Il jouait dans des films qui lui permettaient de financer ceux qu’il réalisait lui-même et qui avaient un succès public modéré, bien qu’ils soient devenus cultes ensuite. Les films que je fais avec Seth Rogen rapportent pas mal d'argent, quand le studio n'est pas hacké, bien-sûr (James Franco fait référence à l’affaire du leak Sony qui avait saboté la sortie de L’Interview qui tue, qui met en scène leur rencontre fictive avec un Kim Jong-un bouffon, ndlr) et ils comptent puisque je les fais avec un de mes meilleurs amis.
Mais la comédie n’est pas moins noble que le drame ?
Non, bien-sûr. D’ailleurs rien n’empêche d’y aborder des thèmes sérieux. La comédie permet même d’aller assez loin sur certains sujets parce que le tout passe en contrebande entre deux rires... Ca vaut même pour Sausage Party (sortie le 30 novembre, ndlr). C’est un film d’animation ultra-régressif. Pour vous donner une idée du niveau, on y trouve des hot dogs qui forniquent… Et pourtant, le film aborde à sa manière des sujets plus profonds. Comme quoi tout est possible !