Souvent dans les films où quelqu’un disparaît puis réapparaît vingt ans après – du Retour de Martin Guerreà la série Les Revenants– les personnages qui assistent à la résurrection du mort sont un peu à côté de la plaque : trop larmoyants ou trop molletons, d’un seul bloc émotionnel. Dans Les Fantômes d’Ismaël, lorsque Mathieu Amalric retrouve sa femme qu’il croyait morte (Marion Cotillard), sa réaction où se mêlent soulagement, colère, incompréhension et sidération, est une performance sidérante, d’une incroyable complexité. Comme celle de Charlotte Gainsbourg, dont la lente élocution et le timbre vocal très bas donnent toujours l’impression qu’elle est sur le point de défaillir. Il faut l’entendre dire "Arrête avec tes cachets, tu prends trop de cachets"à son compagnon Ismaël pour saisir la singularité de son jeu. Elle est époustouflante, Charlotte, dans le rôle de Sylvia, passant de l’empathie à la colère puis au renoncement lorsque déboule dans sa vie Carlotta, l’ex d’Ismaël. Projection de spectateur épris d’actrices ? On croirait apercevoir, en filigrane, au-delà des personnages, la rencontre entre deux natures : l’étonnement pudique et amusé de Charlotte Gainsbourg face au déterminisme désinhibé de Marion Cotillard (étonnante elle aussi).
Là où le bât blesse, c’est que la seconde histoire, celle du film dans le film, dont on se fiche un peu (malgré le charme de Louis Garrel), prend le pas sur la première. Et que son burlesque un peu forcé finit par déteindre sur tout le film et sur l’interprétation de Mathieu Almaric lui même, dont le délire paranoïaque, dans la même tonalité que celle de son film Tournée (en 2010) finit par lasser. Vingt minutes avant la fin, on abandonne à regret. Tout en étant marqué par quelques scènes de haute volée. Dommage, non ?
Les Fantômes d'Ismaël de Arnaud Desplechin.