Il suffit de lancer un appel à témoins sur les réseaux sociaux pour se rendre compte que les violences gynécologiques touchent un nombre très important des femmes, et ce, quels que soit leur âge, leur origine sociale et l’endroit où elles vivent. Ces maltraitances médicales prennent différentes formes et nous placent dans la honte et la culpabilité. Mais comment savoir quand un comportement relève d’une violence ou d’un simple acte médical ? On fait le point.
Mon gynécologue me fait mal
Contrairement aux idées reçues, il n’est pas normal d’avoir mal lors d’un examen gynécologique. Certes, le moment n’est pas des plus agréables, mais si votre médecin prétend que vous êtes douillette ou ne vous écoute pas quand vous lui dites souffrir d’endométriose, c’est qu’il ne se comporte pas de manière professionnelle. Pour l’essayiste et médecin Martin Winckler, auteur du livre Les Brutes en blanc, à paraître chez Flammarion début octobre : “Un médecin respectueux peut parfois faire mal mais d'abord il évite de le faire, en rassurant, ou en étant délicat, et ensuite, s'il fait mal, il présente des excuses, il ne dit pas "Vous êtes douillette !!!" ou ’Ah, c'est de votre faute, vous êtes trop tendue !!! "“
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Mon gynécologue m’ausculte toute nue
Rien ne justifie d’être totalement nue pour un examen gynécologique et il est anormal de l’exiger. Des femmes se retrouvent pourtant contraintes de se dévêtir intégralement lors de consultations. A l’âge de 16 ans, Adeline se rend pour la première fois chez une gynécologue pour se faire prescrire la pilule : “La médecin m'a demandé de me déshabiller et m’a laissée assise sur le fauteuil de consultation, elle en blouse, moi, assise, toute nue. Elle m’a montré des images scientifiques de vagins et m’a expliqué la gravité de la sexualité pour une jeune femme.“
Mathilde est elle aussi tombée sur une praticienne qui lui a imposé une consultation totalement nue, bien qu’elle lui ait indiqué que cela la mettait mal à l’aise. “Je me suis exécutée, j'avais eu énormément de mal à obtenir un créneau pour un rendez-vous. Mais je me sentais humiliée, à nue devant cette femme qui n'avait pas voulu perdre deux minutes pour que je me sente un peu moins rabaissée par elle“.
Mon gynécologue me culpabilise
“Ce n'est pas la douleur à elle seule qui marque la violence gynécologique mais l'attitude du médecin“, explique Martin Winckler, “quand il vous touche de manière brutale, irrespectueuse, (même sans vous faire mal), ou vous adresse la parole de manière systématiquement désagréable, insultante, méprisante ou humiliante.“ Ainsi, Manon et Lara venues consulter pour une IVG se sont retrouvées face à des médecins qui les ont dissuadées d’avorter et leur ont fait écouter le cœur du bébé, une pratique interdite sans l’autorisation de la patiente : “Le tout ponctué de ’Vous êtes vraiment sûre ? Vraiment‘“, témoigne Manon. “Il a conclu par un majestueux ’C'est dommage, vous avez un corps fait pour enfanter’. La toute dernière chose qu'il m'a dite avant que je parte, c'était ’Je serais vous, j'y repenserais, il a l'air en pleine forme, ça ferait un beau bébé’“.
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Mon gynécologue fait des commentaires sur mon âge ou mon physique
Un gynécologue n’est pas là pour juger votre morphologie ou votre apparence. Son rôle est purement médical et tout propos hors de ce cadre est inacceptable. Cependant, de nombreuses femmes les subissent. Christel, qui exprimait sa douleurà son gynécologue qui changeait son stérilet, c’est s’entendu dire : “’Allez, serrez les dents, vu votre âge dites-vous que c'est la dernière fois que vous avez besoin de faire ça.’ Outre la douleur physique, à priori inhérente à cet acte, c'est la violence verbale qui m'a scotchée“, rapporte-t-elle.
Le Tumblr Gras Politique, qui dénonce la grossophobie (pratique qui vise à critiquer ouvertement et à faire culpabiliser les femmes et les hommes en surpoids), regorge de témoignages de violences gynécologiques. Daria Marx, sa fondatrice, raconte : “On m'a dit, sans examen ni rien, ’je ne vais pas vous donner de contraception j'imagine que dans votre état vous n'en avez pas besoin.’"
Marie a aussi dû essuyer des réflexions sur son poids, alors qu’elle avait accouché six jours plus tôt et avait subi une épisiotomie intégrale : “On m’a dit : ‘Il va falloir bosser pour rééduquer ce périnée. C'est important pour la vie sexuelle aussi. Et perdre du poids. L'arrivée d'un premier enfant est particulièrement propice aux infidélités du mari’… “
Martin Winckler conseille aux femmes victimes de ces comportements de partir sans payer leur consultation et de ne pas hésiter à en parler. “Les honoraires d'un médecin ne sont pas justifiés par le fait qu'il vous reçoit, mais par le fait qu'il vous délivre un service. S'il ne le fait pas, il ne doit pas être payé. Et s'il vous maltraite, il faut le faire savoir par tous les moyens (des réseaux sociaux à la plainte au Procureur de la République).“
Mon gynécologue veut m’imposer un type de contraception
Refuser de prescrire un contraceptif, de poser ou enlever un DIU sans votre consentement, sont également symptomatiques des violences gynécologiques.
Dwam en a fait les frais, quand un gynécologue lui a retiré son stérilet sans la prévenir et sans qu’elle ne le lui ai rien demandé. “J'étais juste venue pour voir comment on allait faire parce que je savais que les fils étaient remontés. Il m'a dit ’je vais regarder’ sauf qu’il s'est mis à tirer dessus et me l’a arraché. J'ai cru qu'on me labourait l'intérieur, j'ai complètement paniqué, je ne comprenais pas du tout ce qu'il se passait !“ Choquée, elle ne remettra pas les pieds chez un gynécologue pendant des années.
Pour sa part, Marion, qui souffre de problèmes cardiaques, s’est vu refuser la pilule alors que son cardiologue n’y voyait aucun inconvénient. “J’ai tenté un nouveau rendez-vous avec un jeune praticien fraîchement débarqué dans la région. Réponse : ‘Mademoiselle, quand on consulte un gynécologue à 26 ans, c'est parce qu'on n’arrive pas avoir d'enfant, pas pour trouver un moyen de contraception...’“
Gwladys, quant à elle, s’est retrouvée face à un gynécologue qui refusait de lui poser un DIU métallique au motif qu’elle ne posait pas de stérilet“à une nullipare trentenaire en couple qui allait la supplier de le retirer dans six mois.“
Mon gynécologue juge mon orientation ou mes pratiques sexuelles
Si votre médecin, nie ou commente votre sexualité, ne retournez plus le voir. Là encore, son rôle n’est pas de porter un jugement sur votre vie sexuelle mais de vous accompagner et de vous soigner. Gaëlle Decombes, présidente de l’association OUT’rageantEsà Niort, rapporte que de nombreuses femmes homosexuelles et transsexuelles lui confient ce type de violences. “J’ai une copine qui avait attrapé une IST et son gynéco a voulu lui démontrer par A+B que ce n’était pas possible sans pénétration d’un pénis puis lui a conseillé, pour être rassurée, de se laver les mains à l’eau de javel avant d’avoir des rapports sexuels. Ça pourrait faire rire si ce n’était pas dramatique. Surtout, il faut savoir que cela freine beaucoup les lesbiennes qui hésitent, de fait, à consulter.“
Le gynécologue de Karine lui a également soutenu qu’elle avait des kystes aux ovaires à cause du “manque de drainage, avec un pénis ça pourrait aider à vider le kyste.“
Selon Martin Winckler, ces violences résultent de la formation des médecins en France. “Le sexisme et l'élitisme de la société française, les critères de beauté absurdes sont reproduits et véhiculés par les médecins, qui se comportent comme s'ils étaient des garants de la moralité et des comportements. La formation élitiste -et donc sexiste, raciste, homophobe, grossophobe et j'en passe- n'est pas remise en question par ceux-là même qui la délivrent.“
Instagram Daria Marx
Mon gynécologue a des gestes déplacés
Certains médecins profitent aussi de la vulnérabilité de leur patiente pour en abuser. C’est l’expérience qu’a subie Stéphanie. “Lors d'un IRM abdominal pour l'endométriose, je suis tombée sur un manipulateur en radiologie qui m’a inséré une seringue de gel dans le vagin. Le soir-même, je recevais un message privé sur Facebook de cet homme me demandant si je souhaitais ‘faire connaissance voire plus si affinités…’“
Laure, âgée à l’époque de 21 ans, se rend chez un généraliste pour soigner une mycose. “Il m’a dit de me déshabiller, m’a longuement palpé les seins, m’a fait tourner sur moi-même. Il m’a dit de m'installer en position gynéco. Il trouvait que je n’écartais pas assez les jambes, et n'arrêtait pas de me les écarter à partir du genou en terminant par une caresse le long des cuisses. Il enfonçait le spéculum comme en faisant des va-et-vient.Au moment de payer, il m'a fait une caresse sur la main et m'a dit à bientôt.’“
A 20 ans, Joséphine a été confrontée au même type de situation. “Le gynéco m’a demandé : ‘Vous connaissez le petit lapin ?’ J’ai répondu non. Il a enfilé un gant en latex, m’a fait les oreilles de lapin avec deux doigts et... me les a mis là où il se doit. Ça ne m’a pas fait du tout rire, mais il a enchaîné. ‘Vous connaissez le petit canard ?’ Il a sorti son spéculum, a joué avec et a fait ‘coin-coin’. Et l’a mis là où il se doit. Et je passe sur le ‘'vous avez des seins de compétition.’“
Pour combattre ces violences, Martin Winckler préconise trois choses : “que les femmes ne se laissent plus faire, que tous les médecins reconnaissent que la ’culture médicale’ en France est brutale et violente, en particulier (mais pas seulement) envers les femmes et que la formation médicale soit révisée de fond en comble. Les Anglais, les Hollandais, les Canadiens, les Scandinaves, les Américains l'ont fait. On ne parle pas aux femmes dans ces pays comme on le fait en France. Et le harcèlement sexuel, les paroles blessantes, les humiliations, les atteintes à la pudeur des patients sont sanctionnés.“
Retrouvez une liste de soignants “safe“ sur Gyn&Co et Gras Politique